Menu

Top actus

Luidji : son nouvel album “Tristesse Business : Saison 1″, les maisons de disques, le fond et la forme, sa différence, son statut de rappeur

Luidji (c) FIFOU

Ton dernier projet était sous forme d’une playlist évolutive, dans laquelle tu ajoutais tes nouveaux sons au fur et à mesure. Qu’est-ce qui t’a poussé à franchir le cap du premier album et à sortir “Tristesse Business : Saison 1” ?

On a créé cette playlist dans le but de fédérer les gens autour d’un projet qui ressemblait à un type d’album évolutif, pour qu’ils puissent s’y affilier et en parler autour d’eux. Mais je sentais que si je continuais sur cette lancée, on allait peut-être me catégoriser comme un “artiste à single”, car mes titres qui avaient plutôt bien fonctionné jusque là n’appartenaient à aucun contexte. Mon équipe et moi nous sommes donc lancés dans la conception d’un véritable album.

Ton label s’est récemment associé à Universal Music. Cette collaboration t’a aidé à aller dans ce sens ?

Personnellement, je suis toujours un artiste de Foufoune Palace Bonjour, c’est mon label qui s’est associé à Universal. Cette collaboration n’a rien changé dans ma manière de travailler mis à part le fait qu’on dispose de plus de moyens pour les clips et la communication.

Luidji

Pourtant, on comprend dans ton nouvel album et dans le titre “3 ans” que tu as eu quelques soucis avec les maisons de disques par le passé.

Quand j’étais signé à l’époque, les personnes avec qui je travaillais avaient une manière un peu étroite et arriérée de percevoir la musique. On n’était pas de la même génération et on ne venait pas du même milieu. Le deal que j’avais passé avec eux était aussi désavantageux pour moi et ça n’a pas fonctionné par la suite. Si on a choisi aujourd’hui de nous associer à Universal et plus particulièrement MCA, c’est parce que mon chef de projet qui travaille là-bas comprend parfaitement les tenants et les aboutissants de ce qu’on souhaite faire. Il a accepté de prendre des risques pour nous car il croit en notre ambitieux projet. Notre objectif commun est de créer une case qui n’existe pas.

Tout cet encadrement que tu as désormais, il t’a rendu plus professionnel ? Tu disais avoir eu du mal à gérer l’engouement qui s’était créé autour de toi après le succès des morceaux “Foufoune Palace” et “Marie-Jeanne”. 

Clairement. Quand tout une équipe travaille avec toi autour d’une cause commune, ça te libère l’esprit. Je me suis affranchi de nombreuses tâches dont se chargent mes collègues aujourd’hui pour beaucoup plus me concentrer sur la musique. Je reste malgré tout très présent dans tout ce qui concerne l’image, la vidéo ou la communication et je ne suis jamais focaliser uniquement sur le son.

On parlait du concept de la « playlist évolutive », tu en as aussi un autre, celui des « Pellicules » sur tes réseaux. Tu peux nous expliquer cette démarche ?

Mon graphiste m’a suggéré l’idée des “Pellicules” après la sortie du morceau “Néons Rouges/Belles Chansons”. Chaque musique du projet correspond à un chapitre de mon histoire. Le but était donc de faire en sorte que n’importe quelle personne qui ne l’a pas vécu et qui écoute l’album puisse tout de même comprendre le sens de chaque titre. Sinon, l’auditeur ne juge que de la musique comme il jugerait n’importe quel autre disque. Le défi était de le placer dans un contexte et d’expliquer ma démarche sans trop intellectualiser la chose. Ça me permet d’abord de m’ouvrir à mon public, de créer un lien avec lui, mais aussi de lui permettre de réécouter le morceau en ayant un point de vu différent. Le concept a très bien fonctionné et grâce aux “Pellicules”, j’ai vraiment pu apporter l’ambiance “story-telling” que je voulais dans mon projet. Aujourd’hui, les “Pellicules” suscitent énormément d’attentes et les gens les réclament à chaque fois que je sors un son.

C’était nécessaire pour toi de traiter le fond des choses et d’expliquer le sens de tes paroles à ceux qui t’écoutent ?

Raconter une histoire, c’est pour moi l’essence même du rap. Chaque rappeur est un story-teller. On a moins cette culture en France et je pense qu’il est nécessaire de devoir faire un pas vers son public pour “l’éduquer” en quelque sorte. D’où le principe des “Pellicules”.

Tu sembles aussi accorder beaucoup d’importance à la forme et à l’esthétique, dans ton style comme dans ta manière d’apporter ton contenu.

J’ai beaucoup travaillé avec mon graphiste pour ce projet. Le thème sonore qui revient souvent dans cet album est celui de l’eau et je voulais qu’on puisse associer la musique à l’image. On a travaillé sur des visuels aquatiques en amont pour préparer les auditeurs à l’écoute de l’album. Je me rends compte maintenant que ce travail a porté ses fruits. Depuis que l’album est sorti, je reçois beaucoup de messages de personnes qui remarquent tous ces détails. C’est aussi pour ça que je suis fier du projet. N’importe quelle personne qui souhaite cliquer sur l’album aura différents contenus à découvrir. De la musique bien sûr, mais aussi des photos, des textes, des images …

Le monde aquatique est en effet très présent dans “Tristesse Business : Saison 1”. D’où te vient ce rapport particulier avec l’eau ?

D’abord, je suis Verseau. Aussi, pendant la période de ma vie où je me sentais un peu moins bien, je prenais des séances de médecines chinoises chez une amie de mon père. Elle m’avait conseillé de partir à la mer et de beaucoup plonger dans l’eau pour évacuer tous les problèmes que j’avais. Ça a vraiment bien fonctionné et j’ai fait ce parallèle dans mon album. Dans le premier morceau “Agoué”, on entend que je plonge dans la mer, et les morceaux qui suivent correspondent à la période plus sombre de ma vie, quand je n’arrivais pas à écrire de morceaux. À la fin de “Nazaré”, juste avant l’interlude, je sors la tête de l’eau, et l’album part sur une note plus joyeuse qui fait plus écho à ce que je vis actuellement. Des titres comme “Veuve Clicquot”, “Mauvais Réflexe” ou “Basquiat”, je les prends comme une prise de confiance.

Tu dis que le projet se divise en deux parties, dans laquelle te sens-tu le plus à l’aise musicalement ?

C’est dans la première moitié de l’album que j’avais le plus de choses à dire. C’est aussi pour ça que j’ai mis ces morceaux en premier, car ce sont pour moi les plus importants. Je pense que la première partie de l’album est plus forte, peut-être aussi parce qu’on est plus inspiré quand on a des problèmes. J’ai besoin d’être stimulé et de ressentir une forte émotion pour me dire que je peux en faire un morceau.

Luidji

Dans le projet, tu as cet art d’aborder des sujets forts en conservant un ton doux et mélodieux, comme dans le titre « Système » par exemple. C’est dans ton tempérament ou c’est un choix artistique ? 

J’ai toujours détesté la manière dont le rap français a pendant longtemps traité les sujets tristes. On entend le piano ou le violon, la voix posé du rappeur et c’est souvent la même chose. Je préfère employer un ton plus mélodieux et faire en sorte que la prod accentue le côté dramatique, quitte à raccourcir le son pour le rendre plus intense. “Système”, c’est le type de morceau le plus “triste” que je puisse faire.

Le thème prédominant dans “Tristesse Business” est clairement celui de l’amour, de tes relations avec les femmes. Elles sont ta plus grande source d’inspiration ? On pense par exemple au morceau “Tu le mérites”, entièrement dédié à l’une de tes amies.

J’essaie de traiter le thème de l’amour sous toutes ses formes. Celui avec ma copine de l’époque, avec mon amante, mais aussi la relation que j’ai avec mes potes, que j’aborde plus tard dans l’album. Avant, on disait de moi que j’étais un “rappeur-loveur”, que je ne parlais que de femmes et ça me gênait beaucoup. J’ai fait cet album pour justement expliquer pourquoi ces sujets sont si présents dans ma musique. Dans le prochain, je pourrais passer à autre chose. En écoutant le disque, je veux que les gens puissent naviguer par toutes les émotions.

Ton style musical laisse beaucoup de place aux prods, qui sont très diversifiées. On peut entendre de la musique électronique dans « Plus haut » , du saxophone ou même des maracas dans « Giselle ». La conception de mélodies est aussi importante que l’écriture selon toi ?

Complètement. J’ai la chance d’avoir des compositeurs très talentueux autour de moi qui font les prods sur mesure et me permettent de faire de la musique qui ne ressemble à aucune autre. J’ai pour principe de ne pas poser “sur” les prods mais “avec” elles. À la fin d’un couplet fort ou d’un refrain entraînant, je trouve ça toujours bien d’avoir quelques secondes pour profiter du son derrière plutôt que d’enchaîner directement.

Tu as conscience d’être un peu “en marge” de ce qui se fait actuellement dans la musique urbaine ?

Je sais que je suis différent mais je ne dirais pas que je suis en marge de ce qui se fait, dans le sens où on se sert des mêmes outils, on rencontre les mêmes personnes… Après, je dirais aussi que je ne me considère pas vraiment comme un rappeur d’aujourd’hui. J’ai l’impression que je ne pense pas comme un rappeur, que je n’ai pas l’attitude d’un rappeur, même s’il y’en a pour tous les goûts maintenant. Dans ma tête, je ne fais pas parti d’un “game” ou quoi que ce soit.

Quelle est pour toi la définition d’un rappeur actuel ?

Beaucoup de rappeurs sont les clichés d’eux-mêmes aujourd’hui. Ils marchent comme des rappeurs, s’habillent comme des rappeurs, parlent comme des rappeurs, racontent la même chose dans chacunes de leurs interviews. Je n’ai pas l’impression de voir plus de profondeur que ça pour certains. C’est peut-être aussi une question de tempérament, et tant mieux s’ils réussissent dans ce qu’ils font. Mais certains se donnent des rôles et je préfère rester éloigné de toute la facette superficielle du milieu.

C’est ce qui peut expliquer le fait qu’il n’y ait aucun featurings sur l’album ?

Non, je ne suis pas fermé aux feats. Cet album est simplement très personnel et ça n’aurait pas eu de sens que j’invite des personnes sur le projet. Ça ne me dérange pas de collaborer avec d’autres artistes.

LUIDJI

Le nom de Krisy revient notamment beaucoup dans les commentaires de tes vidéos.

J’ai déjà échangé avec lui pour qu’on fasse du son ensemble. Malheureusement, il était pris par son projet et moi aussi, donc ça ne s’est pas encore fait. Mais pourquoi pas plus tard, on verra.

Ton projet s’intitule “Tristesse Business : Saison 1”. On peut donc s’attendre à un deuxième opus ?

Même si la Saison 2 va certainement arriver, je n’ai pas l’impression de pouvoir enchaîner directement. Je vais d’abord profiter de l’euphorie de la sortie de l’album et ensuite devoir trouver des thèmes encore plus profonds que ceux que j’ai abordé dans cet album. Je vais par exemple certainement allé pour la première fois sur les terres de mes origines, en Haïti.  Ce sera l’occasion pour moi de parler d’autres causes qui me tiennent à coeur et dont je n’ai pas encore parlé dans ce projet.

Autres actus