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Kery James aborde des problématiques sociales avec son film abouti “Banlieusards”

Kery James

Il est vrai que voir une des légendes du rap s’engager dans une cause aussi noble n’a rien d’étonnant au vu de l’ensemble de son oeuvre.

En somme, quel autre thème Kery James aurait-il pu choisir pour confectionner un long métrage co-réalisé par la talentueuse et expérimentée Leila Sy si ce n’est celui de la vie en banlieue ? Depuis ses débuts, l’artiste d’origine haïtienne a bâti sa carrière sous le prisme d’un engagement sans faille pour lutter contre les inégalités en France. Au point de devenir l’une des figures emblématique de l’engagement artistique à l’échelle nationale.

Devenu une sorte de « philosophe des temps modernes », Kery jongle avec les mots en maniant la langue de molière sous toutes ses coutures. Une compétence qu’il a donc su mettre au service d’un projet ambitieux mais pour le moins révélateur. En se lançant dans l’univers du cinéma, le membre de la Mafia K’1 Fry a ainsi rajouté une nouvelle corde à son arc, lui qui est toujours friand d’étendre sa sphère de connaissance.

Grâce à un regard lucide sur la situation préoccupante qui règne dans les quartiers populaires français, le rappeur est parvenu à élaborer une production pleine de réalisme. “Banlieusards” c’est l’histoire d’une fratrie composé de Demba (interprété par Kery James), Soulaymaan (ndlr : interprété par Jammeh Diangana ) et Noumouké (interprété par Bakary Diombera ) par ordre décroissant d’âge. Pour diriger les opérations avec bravoure, on retrouve la cheffe de famille qui n’est autre qu’une courageuse maman très aimante, mais également proche de ses enfants.

Peu importe les difficultés rencontrées, elle a su se sacrifier afin de conserver un équilibre tout aussi précaire soit-il. Le personnage de Demba est donc interprété par Kery en personne, reconverti en trafiquant expérimenté mais aussi et surtout très respecté. Une trajectoire totalement inverse par rapport à celle prise par Soulaymaan qui a décidé de briller par l’intermédiaire de ses études en devenant avocat. En tant que cadet de la famille, Noumouké ne sait pas vraiment à quel saint se vouer, lui qui possède deux exemples à suivre opposés en tout point.

banlieussards

Face à cette ambivalence permanente, le jeune garçon a du mal à se situer. Après une bagarre au collège, ce dernier est renvoyé de l’établissement. Entre un Demba qui lui inculque les lois de la rue et un Soulaymaan qui fait tout pour l’écarter de l’illicite, Noumouké doute en permanence. Soulaymaan justement tente tant bien que mal de prendre le relais de sa mère pour l’aider à réussir l’éducation du “petit dernier de la fratrie”. Son chemin croisera d’ailleurs celui d’une certaine Lisa (interprétée par Chloé Jouannet ), avec laquelle il devra batailler pour remporter un célèbre concours d’éloquence ayant pour thématique “l’état est-il seul responsable de la situation actuelle des banlieues ? “.

BANLIEUSARDS

Soulaymaan aura pour mission de répondre par la négative à cette question, en basant sa plaidoirie sur le fait que chacun est libre de ses choix. Ce n’est d’ailleurs pas anodin si c’est le personnage issu de banlieue qui défend la négative à la question posée ci-dessus. Si le rappeur avait voulu tomber dans la facilité c’est la jeune Lisa issue de quartier plus aisée qui aurait défendu cette position. Ainsi Soulaymaan défendra grâce à sa plaidoirie un point de vue évoqué par Kery James lui même avec son titre “Banlieusards” sortie en 2008. A l’époque, il déclarait ceci : “On n’est pas condamnés à l’échec, pour nous c’est dur, mais ça ne doit pas devenir un prétexte“.

Le clin d’œil est évident et vient mettre en lumière sa pensée plus de 10 ans plus tard, vis à vis d’un constat toujours d’actualité. Au travers de son film, Kery avait sûrement pour ambition de responsabiliser les personnes issus de quartiers défavorisés en les invitant à influer sur leurs propres destins. Raison pour laquelle il offre une vision des choses scindée en deux parties distinctes.

D’une part l’exemple d’un modèle de réussite représenté par Soulaymaan, puis d’autre part l’orientation vers la délinquance incarné par Demba. Ce dernier assumera d’ailleurs ce choix avec beaucoup d’aplomb jusqu’au jour où sa mère finit par avoir un grave accident. En la voyant flirter de près avec la mort à cause d’un infarctus, il se rend alors compte de l’immense importance qu’elle possède dans son cœur. En proie aux remords, Demba réalise aussi que son implication dans des trafics illégaux la font énormément souffrir. Malheureusement pour lui, cette prise de conscience interviendra un peu tard… On peut notamment apercevoir dans ce long métrage une des figures montantes du cinéma Dali Bensallah et le réalisteur Mathieu Kassovitz. Tout au long du film Kery James a eu pour intention de dépeindre les différents type de profils qui rythment la vie d’une cité. Le coté humain est extrêmement mis en avant, non pas pour susciter la pitié mais bien pour retranscrire le plus fidèlement possible une réalité dans laquelle beaucoup se reconnaissent.

Réalité dans laquelle le bien et le mal n’ont pas forcément de frontière claire et où la situation est toujours nuancée . Loin de s’inscrire dans une démarche de dénonciation des stéréotypes existants à propos de la banlieue et ses habitants, le film est au contraire une synthèse de plusieurs opinions. Kery laisse d’ailleurs la liberté au spectateur de construire la sienne. C’est peut-être là toute la spécificité de son projet, à savoir la conception d’un film sur les “banlieusards” sans en faire l’apologie ni le procès. Même si les règlements de compte, les bagarres, les vols ou encore la criminalité existent bel et bien selon lui, sa propre expérience en tant que banlieusard le pousse à renverser ce constat. Dans ce cas il est alors préférable de s’attarder sur des valeurs telles que la solidarité, le courage, l’esprit de fraternité ou encore le sens du devoir qui rythment le quotidien des quartiers populaires.

BANLIEUSARDSBIS

Dans son morceau “Banlieusards”, Kery James qualifiait la banlieue de “deuxième France”. Au regard des perspectives d’avenir intéressantes et florissantes qui s’offrent à une catégorie de population censée être théoriquement défavorisée, cette citation a désormais perdu un peu de sa valeur. Si le vivre ensemble ne fait pas encore partie intégrante du paysage français à l’heure actuelle, il semblerait tout de même que certains progrès pointent à l’horizon. Quand bien même l’égalité des chances peine à trouver une harmonie réelle ainsi qu’un sens pour beaucoup, les possibilités de réussite sont sensiblement les mêmes lorsque l’on considère la détermination comme seul juge de paix rationnel.

Au final, la morale de cette histoire romanesque n’est peut-être d’ailleurs pas beaucoup plus philosophique que cela !

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