Joysad : la sincérité incarnée au service d’un rap où le message prime

Joysad est un autochtone pur et dur qui a grandi à Périgueux. C’est donc la ville qui l’a vu faire ses gammes. Cet éloignement de la sphère parisienne où l’apparence, les réseaux et les contacts priment est son quotidien à plein temps. C’est sans avoir eu vraiment besoin de connaitre des personnes ayant un pied dans le business urbain que le rappeur qui n’a pas encore la vingtaine mais s’en rapproche lentement, a fait son trou. Ce sont ses fameux freestyles sur le compte Instagram 1Minute2Rap qui lui ont permis d’agrandir sa fan base. Originaire de Dordogne (24), il est, comme son nom l’indique, un alliage parfaitement équilibré entre la joie et la tristesse.

Pour comprendre les talents d’écriture de Joysad, il faut s’intéresser au fait qu’il a commencé à gratter vers ses 11 ans pendant des ateliers d’écritures. Ce qui explique donc cet intérêt si particulier pour le fond, quant bien même la forme reste l’une de ses priorités. En dehors du rap, c’est également un véritable passionné de basket-ball capable de jouer au foot à 5 lorsque l’envie lui prend. Un éternel gamin qui a peur de grandir plus vite que prévu. L’artiste évolue sans cesse avec l’impression que tout va beaucoup trop vite, et qu’il n’aura pas vraiment le temps de profiter de tout. Surtout de ses proches. Celui dont le morceau de référence est Hiver ne loupe jamais l’opportunité de dédicacer sa ville, comme pour mieux nous rappeler que la terre qui l’a vu naitre est l’essence même de son œuvre.

Après avoir sorti un premier projet pour se présenter à la vue de tous intitulé Fernandez, Joysad nous délivre cette fois-ci un EP de 9 titres baptisé Palindrome, avant l’arrivée prochaine d’un premier album pour s’inscrire définitivement au sein du paysage urbain français. Les plus tardifs d’entre vous l’auront probablement découvert un peu plus tard par l’intermédiaire de sa collaboration avec Roméo Elvis, ISK et Leonis sur le Freestyle 24BXL77, réalisé à distance pendant le premier confinement. Voire même avec sa trilogie PLDM au cours de laquelle on pouvait l’observer performer sur deux types de prods, pour trois prestations apportant la preuve que c’est une personnalité tout terrain.

L’intro de ce tout nouveau projet qui est dans l’ensemble très émouvante, nous offre une porte d’entrée logique dans un EP orienté vers la prise de conscience. Il y évoque à plusieurs reprises des souvenirs d’enfance, à l’image des conneries qu’on peut faire lorsqu’on est jeune afin de tester ses limites. Joysad démontre en tout cas rapidement ses capacités de kickeur, tout en suivant les codes d’un rap engagé. Cette entrée en matière  dessine directement les contours d’une personnalité très affirmée. Dès le morceau Près des miens, l’artiste évoque la mort de son frère pour la première fois. Son grain de voix hyper atypique, donnant une part de singularité à ses œuvres viendra une nouvelle fois interpeller les auditeurs.

L’une des forces majeures du rappeur de Nouvelle-Aquitaine est qu’il n’hésite pas à évoquer des détails précis concernant son existence, la plupart du temps en utilisant le registre du storytelling avec brio. Il s’appuie également beaucoup sur des évènements en lien avec la réalité, notamment en se référant souvent à l’actualité pour composer ses textes. Le fait de rebondir sur cette dernière avec un œil avisé sur des problématiques diverses, qu’elles soient sociétales, sociales, ou encore pécuniaires, est pour lui un outil créatif inépuisable qui l’aide à composer ses morceaux. Ses rimes sont souvent inspirées de son quotidien de provincial, à l’écart des préoccupations typiquement parisiennes comme la mode à outrance, l’image que l’on rejette, l’importance sociale que l’on peut avoir, ou encore l’influence exercée, souvent grâce à un carnet d’adresse bien rempli. Il évolue ainsi dans un contexte au sein duquel la simplicité est reine, et cela se ressent.

Venons en alors au fameux titre Ciel & Terre, qui constitue à n’en pas douter le point culminant du projet. Principalement parce que Joysad atteint l’apothéose de son art, mais aussi et surtout grâce à une sincérité troublante de sa part. Comme lorsqu’il parle du divorce de ses parents, de la méconnaissance de son grand père, et même la vie dans une famille nombreuse de façon plus globale. C’est peut-être là qu’on met le doigt sur le point essentiel qui fait de lui un artiste qui sort totalement de l’ordinaire, en s’affranchissant des codes de l’urbain. La facilité avec laquelle il parvient à effacer toutes les limites de la pudeur est en plus d’être honorable, à souligner avec véhémence.

Si l’on sait que les rappeurs ont pour habitude d’écrire sur leur vie privée uniquement de façon très épisodique, (sans vraiment rentrer dans les détails pour autant, sauf rares exceptions) celui de Périgueux en a pour sa part fait une force. Cela agit sur lui comme une sorte d’autothérapie, lui octroyant la possibilité de nous offrir des interprétations d’un naturel impossible à renier. Le tout pour un résultat teinté d’une émotion sans pareil, à  l’image de ce qu’il a pu confectionner avec un chef d’œuvre artistique, au travers de ce fameux morceau Ciel & Terre. 

Jamais avare de dénonciation, Joysad dresse même le portrait ultra précis du Mauvais Flic. Ceci en se focalisant sur l’exemple d’un gardien de la paix à l’aide d’un texte absolument remarquable, qui retrace les déviances commises par l’ensemble des représentants du maintien de l’ordre en France. La peur de l’avenir permanente reste une thématique essentielle à ses yeux, ce qui est repérable en particulier dans Marchand de sable. De manière générale, il propose un rap qui touche parfois au domaine du paranormal, doté d’une dimension mystique amenant beaucoup d’auditeurs vers un univers céleste. L’une des principales caractéristiques de sa musique demeure l’originalité des interprétations proposées, la plupart du temps en optant pour des choix forts. Chacune de ses productions possède une saveur et une couleur particulière.

C’est à l’aide d’une écriture minutieuse, appliquée et universelle que l’artiste parvient à retranscrire ses pensées les plus profondes. Il semble se délester d’un poids à mesure que sa plume parcoure le papier. La grande variété des flows utilisés permet alors à Joysad d’alterner entre des bangers souvent chargés en émotion ou des morceaux bien plus calmes et mélodieux. Le rap est l’exutoire idéal afin de canaliser ses pulsions au travers d’une discipline dans laquelle ses aptitudes sont indéniables. Malgré un âge peu avancé, le rappeur de la région bordelaise est sûr de son fait et défend sa vision du monde avec vigueur. Même lorsqu’il s’agit de donner un avis tranché sur les dessous de l’industrie musicale, il n’hésite pas à divulguer le fond de sa pensée. Si l’être humain a souvent tendance à tourner le dos face à ses erreurs, le rookie a pour sa part choisi d’opter pour une mentalité opposée. Il les assume au contraire avec énormément d’humilité.

Doté d’une confiance voire d’une assurance rare qui a pris racine à mesure que les fans se sont multipliés en lui témoignant un soutien infaillible, il envisage l’avenir avec sérénité. Disposant d’une maturité assez bluffante pour son âge, Joysad est tout à fait capable de se pencher sur des problématiques complexes, en s’attaquant même aux plus hautes institutions. Une démarche qui prouve à quel point le rap engagé qui n’est pourtant plus une tendance est un aspect qui lui importe beaucoup. Eveiller la curiosité de son public est un objectif, tout en parvenant à les amener vers des réflexions poussées, grâce à des paroles soulignant l’incohérence du système par moment. Sous couvert de dénonciation, il use de formulations subtiles en se référant la plupart du temps à des faits divers pour coller au maximum avec le réel.

Profondément marqué par le décès prématuré de son frère, il est parvenu à retranscrire son ressenti au travers d’un opus qui lui aura en partie servi de thérapie essentielle dans sa reconstruction. Loin de se laisser abattre, le rappeur de Périgueux véhicule de manière générale un message d’espoir et de positivité malgré les aléas de la vie, qui n’ont pas toujours été tendre avec lui. La force de caractère qui l’habite est un atout dans sa manche pour mieux rebondir, et faire de certaines faiblesses une force. Cela en confectionnant des textes poignants, qui font directement écho aux vécus d’une partie des auditeurs. Ce qui  pousse alors le public à s’identifier encore plus, du fait qu’il sente ainsi une grande proximité avec lui.