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Vin’s : Son nouvel album “Sophia”, son engagement, le rap conscient, l’autotune, la relation avec les fans

Vin's (C) FIFOU

Ton nouvel album s’intitule “Sophia”, qui signifie « Sagesse » en grec. Pourquoi l’avoir baptisé ainsi ?

 

Ce projet décrit tout un processus d’acceptation. Le fait d’accepter le monde tel qu’il est, sans se bercer d’illusions. Comprendre qu’il n’est pas manichéen, que rien n’est tout noir ou tout blanc. C’est aussi un travail à faire sur soi et toute une remise en question. Les premiers morceaux de l’album sont des « egotrip » tandis que la suite montre une plus grande prise de recul. Le terme « Sophia » est très beau et synthétise parfaitement le concept de l’album.

VINS

 

Ces contradictions et ces différentes étapes de la vie, c’est ce qui est représenté sur la pochette très énigmatique du projet ?

 

Le but de cette cover est que chacun puisse se l’approprier comme il veut. Les différents éléments sont présents pour des raisons particulières : la chouette représente la sagesse, l’ange est le symbole de l’enfance… On a essayé d’illustrer le monde dans sa globalité et je souhaite surtout que lorsque l’on regarde cette pochette, un détail attire notre attention et nous fasse penser à un passage de notre vie. Plus le temps passe, plus on pourra s’identifier à elle. J’ai déjà des fans qui commencent à faire des analyses très poussées sur l’album, j’ai hâte de lire ça !

 

Ton premier album “Freeson” était sorti fin 2014. Tu as ensuite attendu plusieurs années avant de publier ton EP “23h59”, paru en janvier 2018. Cette période de “disette” était nécessaire ?

 

Le morceau « FB… » sorti en 2014 a été mon premier gros « buzz » et m’a fait prendre une nouvelle dimension. À la base, mes morceaux atteignaient 20 000 vues sur YouTube et, en l’espace de trois mois, les chiffres ont complètement explosé. Je n’étais pas du tout préparé à ça et mon équipe et moi avons commis un nombre incalculable d’erreurs par la suite car on ne connaissait pas assez bien le milieu. On a refusé un label qui voulait nous signer à ce moment, on a publié l’album uniquement sur un site qui n’était pas du tout professionnel… Ces trois ans m’ont permis de comprendre ce nouveau monde dans lequel j’entrais et de ne plus voir cette industrie comme le petit artiste provincial que j’étais. J’avais notamment besoin de me trouver et d’évoluer musicalement. Je suis aussi passé par des étapes très difficiles sur le plan personnel qui m’ont coupé l’envie de faire des sons. L’année 2014 était certainement l’une des plus belles de ma vie, les deux suivantes ont été très compliquées.

 

Tu as tout de même réussi à rebondir et à signer chez Capitol par la suite. Comment s’est faite cette connexion ?

 

Quand « FB… » était sorti, Malik Bentalha m’avait envoyé un message pour me dire qu’il aimait beaucoup ce que je faisais. Deux ans et demi plus tard, il m’a contacté pour me dire qu’il avait parlé de moi au célèbre producteur Kore pour que je le rencontre et qu’on travaille ensemble. Je n’en croyais pas mes yeux. J’ai dû lui demander de me renvoyer un message avec son compte officiel pour être sûr que ce n’était pas un canular. Le lendemain, j’étais en studio avec Kore et on a commencé à travailler ensemble. C’est lui qui m’a conseillé de collaborer avec Capitol et c’est à partir de là que je suis passé aux choses sérieuses.

 

Tu t’es surtout fait connaître pour ton franc parler et tes morceaux percutants qui dénoncent les maux de notre société. Tu te considères comme un artiste engagé ?

 

Aujourd’hui, on ne va pas se voiler la face, le terme artiste « engagé » ou « conscient » à une consonance péjorative. Je ne veux pas être considéré comme un rappeur « chiant », car c’est ce que ça signifie un peu désormais. Mais j’essaie de prendre parti et de soutenir différentes causes dans certains de mes morceaux, comme « #METOO » par exemple.

 

Le fait d’avoir une renommée dans la musique te pousse à vouloir mener certains combats au travers de tes morceaux pour toucher un plus grand nombre de personnes ?

 

J’ai presque envie de te répondre : « Un grand pouvoir implique de grandes responsabilités ». J’ai la chance de pouvoir m’adresser à de nombreuses personnes grâce à mes morceaux et j’utilise cette renommée pour faire passer des messages qui me tiennent à coeur. Pas toujours, car j’aime aussi varier ma musique et parler de sujets plus légers. Mais quand je considère que les choses doivent être dites, j’en fais un son.

 

Tu parlais du titre « #METOO » justement. On entend beaucoup dans les médias traditionnels que le rap est “sexiste” ou “machiste”. Au final, on se rend compte que beaucoup d’artistes urbains soutiennent les féministes.

 

Quand j’entends que le rap est sexiste ou même misogyne, les gens en parlent comme si c’était la cause de quelque chose. Alors que ce n’est que la conséquence, le rap est simplement le reflet d’une société qui va mal. Et on parle du hip-hop, mais on peut aussi parler de toutes les remarques sexistes entendues au sein des palais de la République. Il y a eu bien plus de plaintes de harcèlement en politique ou dans le cinéma que dans le rap il me semble. Sur ce point là, c’est toute la société qu’il faut faire évoluer.

 

Cet engagement que tu peux avoir est de plus en plus rare dans le rap d’aujourd’hui. Quel regard portes-tu sur l’évolution de cet art ?

 

D’un point de vu musical, j’aime le fait que les styles soient de plus en plus variés. Je n’ai rien contre un morceau « club » de temps en temps. Il ne faut pas oublier qu’on est d’abord des artistes, que notre but est de divertir les gens. Après, le mouvement hip-hop a une histoire et véhicule certaines valeurs qui sont pour moi très importantes et que j’essaie de conserver dans chacun de mes projets. Mais libre à chaque artiste de faire ce qu’il veut, je ne porte aucun jugement.

 

Par rapport à ton premier projet, on sent que tu as toi aussi beaucoup évolué musicalement. Quand on t’entendait plus kicker comme un rappeur “underground” sur des prods boom bap à tes débuts, on sent que tu as fait l’effort d’innover dans ton nouvel album “Sophia”. Sur les titres “La seule” ou “Cette vie là” par exemple.

 

Je suis très curieux et j’ai toujours été attiré par différents styles musicaux. On m’a connu grâce à « Freeson » et on m’a tout de suite rangé dans une certaine catégorie alors que j’essayais déjà de nouvelles choses à l’époque. Mon évolution s’est faite en fonction des artistes que j’ai pu écouter et qui m’ont influencé. Il y a bien sûr un désir de renouvellement, car je vois bien que le style que j’avais à l’époque est complètement archaïque, mais ça s’est fait naturellement. Je veux aussi essayer de servir le propos en mêlant le fond et la forme. Si les auditeurs arrivent à s’ambiancer sur ma musique, ils pourront après se pencher sur les paroles et voir qu’il y’a une certaine consistance, que tout est travaillé.

Vin's

Tu as voulu t’extirper de cette image de “rappeur conscient” qui a pour toi une consonance péjorative ?

 

Complètement, même si tu peux toujours dire que j’en suis un. Je peux assumer tous mes textes, de la première à la dernière ligne. Je sais pourquoi j’écris certaines paroles, même les plus « hardcore » et je peux les expliquer à n’importe qui. Je ne laisse rien au hasard dans l’écriture, c’est là mon côté « conscient ». Mais je connais le rap underground et l’envers du décor. La plupart de ces artistes, pas tous évidemment, dénoncent un système capitaliste auquel ils participent pleinement. Il ne faut pas se leurrer, la plupart rêvent de signer en maison de disques et de gagner beaucoup d’argent, ce qui est parfaitement normal. Le problème, c’est que le discours qu’ils tiennent est très hypocrite par rapport à leurs véritables intentions. Je préfère écouter un artiste comme Booba assumer et lâcher « Je veux faire de l’oseille » plutôt qu’un mec qui dira que l’argent ne l’intéresse pas devant le micro alors qu’il pense en fait tout le contraire.

 La mélodie a désormais pris une place aussi importante que les paroles dans ta musique ?

Ça va te paraître étonnant, mais ce qui me rebutait dans le rap quand j’étais jeune, c’était l’absence de mélodie. Je viens d’une famille qui écoutait surtout de la variété française, et des chansons très mélodieuses, donc mon évolution musicale pourrait presque être vue comme un simple retour aux sources. La mélodie transmet une émotion et est donc aussi importante que le texte. Les deux combinés, la puissance du morceau est décuplée.

Mais en te mettant à chanter ou à te servir de l’autotune, tu n’as pas eu peur de perdre une partie de ton public qui te suit depuis la première heure ?

Je savais qu’il allait arriver un moment où certaines personnes seraient déçues, car en général, les gens ont du mal avec le changement. J’ai même reçu quelques messages me traitant d’hypocrite, qui me disaient que j’avais changé de style uniquement pour vendre. Mais au contraire, il n’y a rien de plus hypocrite que de continuer à faire de la musique qu’on apprécie pas tellement pour conserver une partie de son public. C’est le niveau zéro de la prise de risque. On répond seulement à une demande, il n’y a pas d’offre qualitative. J’avais depuis longtemps envie de chanter dans mes morceaux, et l’autotune m’a aidé à aller dans ce sens. J’étais conscient que j’allais perdre du public, mais je préfère être authentique et que les gens croient que je ne le suis pas plutôt que l’inverse.

Tu as subi beaucoup de réflexions négatives au moment où tu as pris ce virage musical ?

Lorsque j’ai effectué mon retour, avec le morceau « Adrénaline », les auditeurs ont commencé à dire que j’avais retourné ma veste, que je faisais du commercial… Simplement parce que j’étais bien habillé et qu’il y avait une Jeep dans le clip. Ça fait un peu mal sur le moment, tu as l’impression de ne pas avoir été compris. Surtout qu’il n’y avait aucune critique constructive qui m’a fait prendre conscience de quoi que ce soit.

Quand tu abordais beaucoup de thèmes sociétaux par le passé, tu nous livres ici un projet bien plus introspectif avec « Sophia », qui parle de ton enfance, de tes relations avec les femmes, de tes doutes … C’était une volonté de ta part de plus t’ouvrir à ton public ?

J’avais besoin de me mettre à nu, de déballer ce que j’avais sur le coeur. J’ai vécu beaucoup de choses ces dernières années qui m’ont donné de l’inspiration et je sentais que c’était le moment pour moi de m’ouvrir à mon public, sans tabou. C’est aussi pour ça que le projet ne comprend pas beaucoup de featurings. Les deux seules collaborations présentes sur l’album sont avec de bons amis avec qui j’ai passé beaucoup de temps. L’envie ne manque pas, mais ça n’aurait pas eu de sens d’aller chercher un gros nom sans qu’on ait une histoire commune derrière.

Tu t’adresses d’ailleurs directement à tes fans, notamment sur le titre “Vincent”. Quelle est l’anecdote autour de ce morceau ?

La véritable anecdote date de plusieurs années. La Gazette de Montpellier m’avait interviewé pour réaliser un portrait. Le papier sort et je vois écrit « Vin’s, de son vrai nom Vincent Sanchez ». Je précise bien que je ne m’appelle ni Vincent, ni Sanchez ! Mon véritable prénom c’est Charlie, rien à voir ! (rires) J’ai appelé la journaliste pour lui dire que c’était une erreur et elle m’a dit que c’est ce qui était écrit sur le site d’Universal. C’était vrai et, aujourd’hui encore, je ne sais toujours pas qui a marqué ce faux nom sur le site d’Universal. Concernant mes fans, certains tentent parfois de faire ami-ami en m’appelant par mon prénom. Malheureusement, ça crée l’effet inverse car ils se trompent et m’appellent souvent Vincent. Le pseudonyme « Vin’s » est un simple hommage au personnage de Vincent Cassel dans le film « La Haine ».

On a aussi l’impression que cet album t’a libéré et t’a permis d’envoyer des messages forts à certaines personnes importantes pour toi. Ta famille avec “Faut pas t’en faire” ou “Salut papa” mais aussi tes amis dans “Frérot” ou l’interlude “Rue Charrel”. La musique te permet de dire certaines choses qui auraient été impossible à évoquer dans un autre contexte ?

Désormais, je n’ai plus aucun mal à dire les choses en face, surtout à mes amis. « Rue Charrel », c’est l’histoire vraie de la relation avec mon ancien manager, une personne très importante pour moi et ma carrière. J’ai tenu à ce qu’il soit sur le projet, même si la vie nous a éloigné au fil du temps. D’autres phrases seraient plus difficiles à dire autrement qu’en chanson. Quand je m’adresse à ma mère dans « Faut pas t’en faire » par exemple, ou à mon père dans « Salut papa ». Il y a tout un processus psychologique derrière cet album, et ce travail personnel m’a permis de concevoir certains morceaux. On retrouve notamment le principe du complexe d’Oedipe dans les titres que je viens de citer.

On entend même ta mère parler et te décrire enfant dans l’interlude “Charlie”…

À la base, je voulais l’enregistrer à son insu ! Je ne voulais pas qu’elle parle de moi en ma présence. Au final, j’ai donné un questionnaire à mon père pour qu’il interview ma mère sans qu’elle sache vraiment le but de l’entretien. Sur les quinze minutes pendant lesquels elle parlait, je n’ai gardé que ce qu’il y a sur l’album (soit 48 secondes ndlr). Petit, je posais vraiment des questions flippantes. Je me questionnais sur l’utilité de la vie dès l’âge de quatre ans. Mes parents n’étaient pas sereins avec moi ! (rires)

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