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Demi Portion : son album “La Bonne Ecole”, la nouvelle génération, la culture urbaine, ses débuts, l’importance de l’écriture

Il existe une dimension poétique dans ta musique, notamment dans le travail des rimes ou encore l’utilisation de nombreuses figures de style (comparaison, métaphore, hyperbole). Est-ce que tu te considères en quelque sorte comme un poète des temps modernes ?

Non pas forcément. J’essaye simplement de m’appliquer en élaborant les meilleurs rimes possible même si aujourd’hui le rap de parolier a un peu disparu des écrans radars. Malheureusement les valeurs essentielles du hip-hop se perdent de nos jours. Dans ma façon d’écrire, j’essaye toujours de ne pas me dénaturer. Souvent, je m’inspire de ce qui m’entoure pour me mettre à la place des autres et ne pas rester autocentré. Mon but n’est pas du tout de faire la morale car ce n’est pas ce dont l’auditeur a besoin. Si on regarde les artistes actuels qui fonctionnent le mieux, on s’aperçoit que beaucoup ont un niveau en écriture très élevé à l’image de Damso, Nekfeu, Orelsan ou encore Bigflo & Oli par exemple. Leurs textes ont du sens et de la profondeur.  

Le texte restera toujours l’essence de ton rap ?

C’est ce qui me permet de bien dormir pour être honnête, et c’est aussi ce qui me permet de gagner ma vie. J’ai des enfants et je suis très content de pouvoir leur faire écouter ce que je fais ou même à ma femme ou mes proches. À partir de ce moment-là, j’ai déjà tout gagné. Même si un jour la plateforme YouTube venait à disparaître, je ne serai pas déboussolé et j’arriverais à rebondir. C’est le public qui me donne ce que je mérite mais c’est également lui qui peut décider de tout reprendre.  

Tu es un kickeur pur capable de débiter des phases puissantes pendant 3-4 minutes sur un son. Comment est-ce que tu as construit ce côté perfectionnisme dans tes écrits ?

C’est surtout venu avec le temps mais je dois avouer que je me relis beaucoup. Je peux mettre deux jours à écrire un texte comme ça peut me prendre une semaine voire deux pour le finaliser. J’aime bien prendre mon temps pour élaborer le meilleur texte possible.

Tes textes sont assez souvent alarmistes concernant les dérives de notre société. Pourtant ta musique est dans l’ensemble vectrice d’un message d’espoir n’est-ce pas ?

Oui parce que je me base sur mon propre parcours qui a été plutôt sinueux avant d’en arriver là. J’ai commencé en participant à des ateliers d’écriture.  Je faisais énormément de première partie quand j’étais plus jeune et surtout j’essayais de suivre le pas de mes aînés. J’estime que nous n’avons pas le droit de nous plaindre par rapport à ceux qui ont vraiment un vécu difficile. Avec tout ce qui se passe dans le monde nous ne sommes pas à plaindre. Pour autant nous ne vivons pas dans un monde de « bisounours » et il faut le garder sans cesse à l’esprit.

Personnellement j’essaye toujours de garder les pieds sur terre car je sais que la musique est un milieu éphémère dans lequel tout peut s’arrêter du jour au lendemain. À titre d’exemple, je préfère cent fois faire un concert dans une prison que dans une grande salle car cela m’apporte un profond sentiment de satisfaction personnelle. C’est grâce à ce genre de moment que je saisis l’importance de mes textes ainsi que les répercussions que certains mots que j’emploie peuvent avoir. Je me dois d’apporter du positif malgré la misère qui nous entoure.

Tes clips ne sont jamais dans le côté fantaisiste ou spectaculaire. Considères-tu que cela te permet de faire passer des messages plus fort ?

À l’heure actuelle carrément. Dans un album comme « La Bonne Ecole » tu sais d’avance qu’aucun son ne passera en radio, et ça c’est tout simplement du Demi Portion. Même si on se doit désormais de jouer beaucoup sur l’image et que les chiffres ont une importance capitale, j’essaye de mettre cette pression de côté. Je réalise mes clips moi-même depuis 2011 et je m’amuse beaucoup plus comme cela, même si je ne maîtrise pas tous les logiciels de montage audiovisuel. Je m’adapte en représentant au mieux la ville de Sète car cela me tient à cœur.

Tu as déjà réalisé cinq clips pour « La Bonne Ecole ». Est-ce qu’il reste encore un ou plusieurs morceaux que tu tiens absolument à mettre en image ?

J’aimerais beaucoup clipper « Mon dico volume 5 » produit par le talentueux pianiste Sofiane Pamart. C’est une série qui me suit depuis mes débuts, et vu que le dictionnaire est illimité je me retrouve désormais au volume cinq.

Dans ton clip « Petit Bonhomme vol 2 », tu mènes une vie de bohémien faite de plaisirs simples. Est-ce un modèle de vie qui t’inspire ?

C’est exactement comme cela que je voudrais que ma vie se termine. J’aimerais être proche de ma famille et mes amis pour revenir à mes racines, car si la musique s’arrête il n’y a que cela qui restera.

Une des phrases qui m’a beaucoup interpellée dans cet album est : « tu sais pour moi un featuring, c’est avant tout aimer l’homme ». Qu’est-ce que tu entends par-là ?

Dans la musique tu reçois beaucoup de sollicitations. Tu as l’opportunité de te mélanger et surtout de donner de la force à d’autres artistes sans rien récupérer en retour. Personnellement je préfère cent fois faire un featuring avec un petit qui est simple et qui a beaucoup à apprendre qu’avec un artiste très populaire. Avant de faire un futur hit, il faut avant tout qu’il y ait un côté humain et après on peut tout faire ensemble.

Dans cet album tu as réalisé des featurings avec Grand Corps Malade, Bigflo et Oli ou encore Davodka. Ce sont des artistes qui comme toi sont dans le storytelling et ont des paroles revendicatrices. Est-ce que c’est essentiel pour toi de collaborer avec des personnes qui ont la même démarche artistique ?

Déjà il faut savoir que ce ne sont que des personnes qui ne viennent pas de Paris et qui ont plutôt réussi, tout comme le belge Scylla d’ailleurs qui est présent sur le titre “Gorilles“. Notre principal point commun est que l’on appartient pas à l’air du streaming. Si je prends l’exemple de mon album « La Bonne Ecole », j’ai vendu plus de 4000 exemplaires en physique à l’heure actuelle et surtout près de 3000 exemplaires en première semaine. 

Tout cela en indépendant en plus. Qu’est ce que ça change au niveau de la conception ?

Quand tu es en indépendant il y a beaucoup plus de travail, tu te prends énormément la tête, mais tu dois aussi prendre plus de risque. Parfois tu dis oui alors qu’il aurait fallu dire non et inversement. Tu manques forcément de gens pour t’entourer mais aussi de ressources financières. En revanche, tu as deux fois plus de rage pour faire les choses. La pression se fait tout de même moins ressentir car tu n’as aucun compte à rendre en terme de chiffres de vente ou même de rentabilité.

Le fait d’habiter loin de la région parisienne a-t-il été un frein pour gagner en notoriété ?

Quand tu habites à Sète et que tu sors un album solo, lorsque tu arrives à Paris tu es un peu perdu. À l’époque quand je suis monté sur la capitale, les structures étaient très peu nombreuses. Tu arrives avec cinq cents disque et on te dit « bonjour je t’en prends cinq ». Ça te remet les idées en place. J’ai dû faire énormément de concerts et notamment des « lives » comme à La Flèche d’or ou au Point Éphémère. Tout fonctionnait au bouche-à-oreille et c’était donc important d’aller sur le terrain tout en sortant de ma zone de confort afin de m’ouvrir un peu plus.

Tu es un grand autodidacte en fin de compte ?

Effectivement. Je suis un gros bosseur qui déteste ne rien faire. Lorsque tu viens de Sète, mis à part la mer et les poissons, il n’y a pas grand-chose à faire.  Tu as donc mille fois plus le temps de réfléchir pour anticiper les choses.

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Est-ce en partie le décès de ton père qui t’as aidé à forger ce mental d’acier ?  

Cela fait partie de la vie. Je suis le seul garçon de la famille et par conséquent je devais m’occuper de mes petites sœurs, mais aussi de ma maman. J’ai une très grande famille et je me dois de ne pas trop m’éloigner de ce cocon car c’est ce qui me permet de garder un certain équilibre.

On sent que tu te désintéresses pas mal de la gloire justement. Ce n’est pas du tout ceux à quoi tu aspires ?  

La seule chose qui m’intéresse est de faire de la bonne musique. Je ne vais pas mentir, j’ai reçu beaucoup de propositions de la part des maisons de disque, notamment de la part de certains producteurs très respectés qui étaient prêts à investir sur moi. Je me fiche complètement d’occuper la dernière place du classement. De base j’espérais vendre entre 500 et 700 exemplaires de « La Bonne Ecole » et au final je me retrouve à faire pratiquement 3000 ventes en première semaine. Je ne pouvais pas espérer mieux.

J’essaye simplement de me battre avec mes armes car j’effectue ma promo seul en faisant des Olympia ou en participant à des festivals. Il y a ceux qui ont grandi avec les nouvelles technologies et qui sont à l’aise face à une caméra et puis il y a moi qui l’est beaucoup moins. Lorsque l’on me reconnaît dans un supermarché, je ne suis pas du tout euphorique. Bien au contraire, j’ai même un peu honte. Je suis simplement content que l’on reconnaisse ma musique à sa juste valeur et il ne m’en faut pas plus pour être heureux.

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Cela ne veut pas forcément dire que ce mode de fonctionnement est moins efficace pour autant. Prenons l’exemple de Keny Arkana, elle n’a donné aucune interview en France. Pourtant cela ne l’a pas empêchée d’avoir un rayonnement incroyable à l’échelle nationale. Plus récemment, PNL est en train de prouver à tout le monde que c’est bien de garder une certaine intrigue concernant sa vie privée.

Tu te réfères à des groupes historiques à plusieurs reprises comme IAM, la Scred Connexion, ou encore à des artistes de variété française comme Brassens ou Jacques Brel qui ont tous comme point commun une maîtrise accrue de la langue française. Te sens-tu comme l’héritier de toutes ces personnalités ?

Des personnes comme Brassens, Jacques Brel, ou encore Renaud ont été les premiers rappeurs à mon sens. Je ne fais pas des reprises mais je suis super heureux de leur rendre hommage une ou deux fois par album ou bien lorsque je suis sur scène. J’ai l’impression que de nos jours ce sont des artistes oubliés, alors ça me tient à cœur de leur faire un clin d’œil. Ce sont de grands artistes qui ne parlent désormais plus qu’à la génération de nos parents et celle de nos grands-parents. Cela ne m’empêche pas de me référer à des exemples plus récents, à l’image du morceau “La lettre” qui est clairement inspiré du célèbre titre de Lunatic

La punchline qui m’a le plus marqué dans tout le projet est : « le rap conscient c’est le mode avion du téléphone ». Qu’est-ce que tu as voulu dire au travers de cette phrase ?

Je pense que l’on va l’activer de nouveau un jour. Lorsque l’on écrit, on veut juste marquer les consciences et les esprits justement en étant conscient. Le problème est qu’aujourd’hui lorsque tu es un rappeur à texte, tu te retrouves très vite dans une case spécifique. Les gens ne veulent plus du tout réfléchir alors même que chacun dispose pourtant d’une certaine forme d’intelligence. L’être humain est de plus en plus vicieux et les outils pour exploiter ses vices sont à son entière disposition.

Dans le morceau « Petit bonhomme vol 2 » tu déclares « les petits ils nous écoutent ». Qu’est-ce que tu conseillerais aux jeunes pour mieux exprimer ce qu’ils ressentent ?

Je leur conseillerais surtout de faire ce qu’ils aiment car le plus important reste de se régaler. Je trouve que la nouvelle génération le fait admirablement bien. Je suis un grand consommateur de musique urbaine et je passe beaucoup de temps sur YouTube. J’écoute absolument tout ce qui se fait et je trouve que certaines choses sont vraiment très bien réalisées.

Tu as des exemples en tête ?

Larry je trouve ça très frais. Je peux également te citer PLK qui faisait partie du groupe Panama Bende. Ce sont des artistes que je trouve très fort à l’image d’un Josman aussi qui est pour moi un véritable extraterrestre. Un rappeur comme Ninho qui au départ se contentait de faire des freestyles dans une voiture se retrouve à être l’une des têtes d’affiche du rap français à force d’acharnement. Tous ces artistes ont compris les ficelles de la musique beaucoup mieux que nous les comprenions à l’époque. Ils ont parfaitement su intégrer le fait que nous avons désormais basculé dans l’ère de l’image.

Tu fais souvent la distinction entre « Oldschool » et « New School ». Pour reprendre le titre de ton album, quel est selon tes critères ce que l’on pourrait appeler « La Bonne Ecole » ?

La bonne école c’est l’école de la vie. Tout simplement parce que tu en apprends tous les jours, que ce soit de ta propre famille, de tes proches, de ton patron ou même de la banquière qui cherche à te la mettre à l’envers. Malgré les échecs, tu te dois de continuer d’avancer et même si tu arrêtes l’école tu peux continuer à étudier chaque jour.

Est-ce que cette dissociation entre l’ancienne et la nouvelle école te dérange ?

Franchement à l’heure actuelle je dirais qu’il en faut pour tout le monde même s’il s’agit d’une vaste question. En fin de compte, je dirais que seule la bonne musique doit l’emporter peu importe que l’on soit issue de l’ancienne ou la nouvelle génération. De manière générale, tout fonctionne de la sorte car tant que tu fais bien les choses forcément le résultat est probant.

Quelle est ta définition de la culture urbaine sachant qu’elle est extrêmement présente dans ton œuvre de manière générale ?

C’est tout ce qui se rapporte au hip-hop à commencer par le graffiti qui lui donne des couleurs et reste gravé dans les murs à jamais. La danse est également un aspect primordial en particulier avec le break dance. À cela tu peux également ajouter la rue car c’est à partir de là que tout est parti. C’est le premier endroit où j’ai écouté de la musique en continu. Dans le domaine de la musique les frontières sont en train de s’effacer peu à peu grâce aux nouveaux moyens de communication. À l’époque nous n’avions pas de téléphone pour nous rencontrer donc pour collaborer on devait se déplacer directement. Selon moi la musique urbaine c’est prendre toute l’énergie négative et la transformer en énergie positive.

Pourquoi est-ce que dans le morceau « Flashback » qui conclut l’album, tu dis « la musique m’a sauvé » ? 

J’ai commencé le rap avec Némir. On avait douze treize ans tous les deux et nous avons commencé à fréquenter des ateliers d’écriture tous les mercredis après-midi. On se voyait une seule fois par mois car lui habitait Perpignan et moi Sète. On faisait toute sorte de conneries ensemble. Je n’ai jamais été très assidu à l’école donc la musique m’a sauvé dans le sens où elle m’a permis de devenir quelqu’un de sérieux dans un domaine en me fixant des limites. Je n’avais peur de personne mise à part de Dieu à cette époque mais j’étais totalement perdu. A partir du moment où tu n’as pas de repères, tu es susceptible de faire n’importe quoi.

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