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Interview avec Bil-K du Ghetto Phénomène : “On va aussi se lancer sur des projets solos”

Ghetto Phénomène (C) Killian Kali

A l’occasion de l’arrivée du troisième projet solo des marseillais Ghetto Phénomènenous avons reçu Bil-K. Le tout pour aborder différentes thématiques en lien avec cet album C’est plus comme avant, qui est le juste reflet d’une existence complexe dans la cité phocéenne. Ainsi, le membre du groupe auquel appartenait Jul par le passé revient sur l’univers du projet, mais également les liens indéfectibles qui les unissent, ou encore la fluctuation des mentalités dans les quartiers à l’heure actuelle.

On sent dès la première écoute que vous avez Marseille dans le sang, c’est une ville qui restera ancrée à jamais dans vos veines ?

Grave ! D’ailleurs dans le projet on a 3 feats et ils ont tous été réalisés avec des artistes marseillais que ce soit Jul, Kofs et Alonzo. On a voulu représenter notre ville au travers de ce choix en optant pour des feats 100% marseillais. C’était une manière de garder une couleur musicale représentative de ce qui nous parle ici sur tout le projet.

Au niveau des featurings, vous vous mélangez rarement malgré quelques exceptions (Keblack, Naza) ? 

C’est vrai qu’on est plutôt resté en famille, avec des personnes que l’on connaît. Forcément ce sont des artistes beaucoup plus accessibles pour nous. Au final pourquoi aller chercher loin quand on a tout ce qu’il faut chez nous. L’entente se fait beaucoup plus facilement aussi parce qu’on travaille à partir du même style de sonorités.

Vous avez récemment participé au succès retentissant de la compilation 13′Organisé. En tant que pur marseillais, qu’est-ce que tu ressens par rapport au fait que le projet ait tout raflé à ce point ? 

La vérité c’est qu’on a tous été incroyablement surpris ! Jul est à l’initiative d’une super compilation qui a battu tous les records. Il a mis en lumière des jeunes rappeurs. C’est un projet magnifique qui a permis de réunir toute la scène marseillaise. On a tous été très honoré d’y participer, et cela ne peut être qu’annonciateur d’une belle suite pour l’avenir du rap marseillais au vu de la solidarité et l’engouement qu’il y a pu avoir autour du projet. Sincèrement c’est une immense fierté pour nous aujourd’hui d’avoir fait partie de l’aventure.

D’ailleurs vous avez enregistré un nouveau feat avec Jul pour ce projet. Comment ça se passe en studio avec le J, l’entente doit être hyper instinctive ?

Tu as tout compris. En fait il était là pendant que l’on confectionnait l’album, donc bien entendu il nous a aidé à le réaliser en nous conseillant, que ce soit au niveau des prods, sur certaines mélodies. Notre démarche était de faire du son en permanence et dès que l’on chopait un bon morceau, on allait au bout des choses. Au niveau du feat tout s’est fait de manière naturelle entre nous.

Il continue de garder un œil sur votre travail finalement ?

Exactement. Le morceau Bénef Bénef c’est une prod de Jul, Ma life aussi, et Je gère également. Il y a plusieurs sons sur lesquels il a été d’une grande aide. De toute façon on a toujours gardé une super bonne entente avec lui.

On sent que vous avez mis un point d’honneur au fait d’apporter de la diversité dans les sonorités (latino, club, ambiançant, cloud) ? 

Depuis toujours on aime à peu près poser sur tous les styles. Lorsque l’on fait un album, on se base essentiellement sur les sonorités marseillaises mais on aime beaucoup aussi le fait de prendre le public à contre pied en montrant que l’on sait faire autre chose. Les sonorités cloud par exemple, c’est quelque chose qu’on apprécie particulièrement. On essaye d’en faire pour tous les goûts.

Il y a aussi une diversification au niveau des styles avec du kickage, de la mélancolie, de la nostalgie mais aussi des vibes positives qui vous caractérisent. C’est une manière de donner plus d’épaisseur à vos œuvres ? 

C’est ça ! Pour l’intro on avait envie de kicker parce que ça faisait un moment que l’on ne le faisait plus. C’était une volonté de notre part de revenir avec un morceau dans ce style, et ça fait plaisir de voir que les gens ont aimé.

En me référant au son “On pilote” mais aussi au vu de vos capacités vocales, j’ai la sensation que le disco est un terrain qui pourrait vous correspondre, voire la funk ? 

Franchement pourquoi pas en vrai. On est ouvert à tout. A Marseille on aime bien ces styles musicaux parce que c’est quelque chose qui nous inspire aussi.

L’une des forces de votre groupe, c’est justement  de pouvoir faire des compositions différentes en fonction des prods si certains se sentent plus à l’aise que d’autres ?

On a mis 4 solos dans l’album, histoire de montrer la particularité de chacun de nos univers puisque l’on va aussi se lancer sur des projets solos en parallèle.

Comment est-ce que vous vous organisez pour confectionner vos refrains, sachant que vous êtes 4, et donc que chacun à une sensibilité artistique qui lui est propre ? 

A l’ancienne on travaillait un peu au feeling en mode “un coup c’est toi qui le fait, l’autre ce sera moi”, mais maintenant on a une autre manière de travailler. On se pose puis on fait des mélodies sur le son. Une fois que tout a été trié, on garde la meilleure puis on se met d’accord tous les 4 pour savoir qui serait le plus à même de l’interpréter.

J’ai remarqué que sur toutes vos covers vous êtes hyper soudés. C’est un peu  la représentation de votre amitié qui remonte à l’enfance ? 

On était tous dans le même collège donc on se connait depuis pratiquement 15 ans. On a traversé beaucoup d’épreuves ensemble par conséquent et ça fait vraiment plaisir d’en arriver là, en sortant un quatrième album.

Qu’est-ce que ça fait de réussir dans la musique avec des personnes que l’on côtoie depuis minot ? 

C’est une fierté pour nous, on est super content de pouvoir vivre de notre passion. On espère que ça plaît toujours. La musique que l’on produit doit avant tout nous plaire à titre personnel mais on essaye surtout de s’améliorer en permanence pour que les auditeurs soient satisfaits.

Honnêtement, qu’est-ce qui a changé dans vos vies depuis le succès du fameux hit Maria Maria avec Jul qui a complètement explosé les compteurs sur YouTube ?

Au début, on ne réalisait pas forcément. C’est uniquement lorsque l’on a commencé à partir en tournée que l’on a pu percevoir les retombées. A la suite de ce morceau, on a plus été dans la lumière, les gens ont prêté plus attention à nous. Ça nous a permis d’étendre notre sphère d’influence en fait. A partir de ce moment précis, on a basculé dans un véritable plan de carrière basé sur des sorties de projets successives.

C’est la patience qui a été la meilleure des vertus pour atteindre vos objectifs en vérité ? 

C’est comme dans la vie de tous les jours au final. Quelqu’un qui va au travail quotidiennement finit toujours par obtenir ce qu’il mérite. L’essentiel c’est de croire en soi et ne jamais lâcher. Tout passe par le travail en fin de compte.

La fierté c’est aussi de l’avoir fait sans l’aide de qui que ce soit, mais uniquement par le fruit d’un travail de longue haleine en plus ? 

C’est toujours gratifiant de voir ses efforts récompensés lorsque ta musique est écoutée mais surtout appréciée par les gens.

Il y a un côté fataliste assez marqué par moment qui se dégage quand même, avec une expression assez directe d’un sentiment de lassitude, voire de ras le bol d’où l’appellation du projet C’est pas comme avant

C’était l’humeur dans laquelle on était au moment de confectionner l’album. On a aussi pris beaucoup en maturité chacun de notre côté, que ce soit au niveau des textes mais aussi des flows. C’était le moment de tout donner avec cet album et c’est ce qu’on a fait. On s’est enfermé dans notre bulle pour en arriver à ce résultat.

On voit même que vous laissez transparaître un spleen énorme avec une phase comme “cette vie est mon malheur”.

On vit quand même dans une ville où la vie n’est pas facile. Malgré le fait que l’on a sorti des albums, nous sommes toujours au quartier, sur le terrain. Notre mentalité reste de ne jamais baisser les bras en continuant d’avancer coûte que coûte.

Vous évoquez souvent le fait que la mentalité a changé dans le sens où “il n’y a plus de petits et de grands”. Quel regard vous portez sur l’évolution de la hiérarchisation dans les quartiers ?

On voit grandir la nouvelle génération, et sincèrement il n’y a plus de respect des anciens, des daronnes. Il y a de ça même pas deux semaines, un mec s’est fait tuer devant sa propre mère dans un quartier. De notre côté on essaye justement de retranscrire ce que l’on voit au quotidien parce qu’on traîne toujours dans le même secteur, avec les mêmes personnes. A Marseille honnêtement il existe une mentalité assez spéciale que seuls les gens d’ici peuvent comprendre même si je n’estime pas que ce soit pire qu’ailleurs pour autant.

La réalité du quotidien c’est qu’il faut sans cesse se battre pour garder sa place, son statut ?

C’est ça. Comme dans le quotidien en général, tu dois te battre pour vivre, survivre, aller travailler dans le but de nourrir ta famille. Finalement, tu dois te battre dans tout ce que tu entreprends.

Dans le morceau T-Max vous dites “Maintenant ça se rafale pour le style”. C’est un peu comme si c’était devenu une mode de tomber dans cette escalade de violence permanente ? 

On dirait presque qu’il y a des jeunes qui ne sont pas forcément fait pour ça et qui se laissent influencer en suivant les collègues dans des conneries. C’est certainement une manière pour eux de se prouver des choses, sans doute par manque de confiance en eux.

L’argent sale ça rend pas meilleur, mais ça met des courses dans la malle“. Cette phrase extraite du son Go Fast illustre parfaitement la responsabilité de ramener des sous au foyer coûte que coûte ? 

La mentalité des petits aujourd’hui c’est exactement ça. Ils veulent ramener des sous à la maison et dès qu’ils voient que l’école n’est pas faite pour eux, ils vont faire des conneries pour générer des revenus. Nous on a été jeune donc on est aussi passé par ça, mais je pense qu’au bout d’un moment quand tu gagnes en maturité tu finis par comprendre. Forcément tu as du mal à t’en sortir une fois que tu tombes dans “l’argent facile”.

Justement, parfois on a pas le choix d’aller vers l’illégal aussi parce qu’on baigne dedans ?

Beaucoup sont nés là-dedans. Ils ont vu leur grand frère, leur cousin être dans le business donc du coup ils vont droit dans le mur. C’est pour ça qu’il faut faire un maximum pour aider les jeunes et nous on fait de la musique justement pour leur faire comprendre que c’est essentiel de se battre pour s’en sortir, et que c’est mieux d’aller taffer que de finir entre quatre murs ou quatre planches.

En tant qu’anciens vous avez un rôle de conseiller ? 

Grave ! On essaye de les conseiller en leur disant “fais quelque chose de ta vie parce que le temps passe vite et il faut avancer”.

C’est important pour ces jeunes d’avoir des modèles de réussite, que ce soit dans la musique ou dans d’autres domaines d’ailleurs ? 

Il n’y a pas que la musique qui permet de s’en sortir. Le sport ou le travail en sont le meilleur exemple. La seule recette c’est de foncer, sinon il n’y a pas de secret. Vu que l’on est quand même écouté par les petits, on essaye de faire du mieux possible pour leur dire qu’ils peuvent s’en sortir eux aussi.

La source principale d’inquiétude depuis petit ça reste de ne pas faire de peine à ses parents finalement, que ce soit en passant par la case prison, voire pire lorsque certains perdent la vie ?  

On était tous insouciants pendant notre jeunesse, donc on avait pas forcément le recul pour comprendre que ça leur faisait du mal. Après en grandissant tu comprends que c’est important de rendre fier sa famille dans le bon sens du terme, en empruntant le bon chemin surtout.

Dernière question qui n’a rien à voir, quel est ton avis sur les nombreux reportages stigmatisants qu’on peut voir sur plusieurs chaînes de télévision à propos des quartiers ? 

Sincèrement il y a une part de réalité dans ce qui est montré mais cela ne se résume pas qu’à ça. Il faut le prendre à la légère et c’est vrai que parfois ça nous fait rire. Tu ne verras jamais d’exemples de réussite dans un quartier, on te montre uniquement des petits en train de caillasser des bus… Faudrait aussi qu’ils montrent le bon côté des choses, comme la solidarité, l’entraide mais les médias restent focalisés sur les côtés négatifs.

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