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Disiz : DISIZILLA, état d’esprit, longévité, couleur musicale, Niska, Fianso

Disiz (C) JOHANN DORLIPO

Dans le rap français, rares sont les artistes ayant su traverser les époques, tout en s’adaptant aux différentes tendances musicales. Parmi cette poignée d’artistes, Disiz en fait partie, et revient avec le douzième album de sa discographie intitulé « Disizilla », en référence à Godzilla et son état d’esprit au moment de la réalisation du disque. Un peu moins d’un an après la sortie de son dernier projet « Pacifique », Disiz avait besoin de s’exprimer après avoir rencontré certaines expériences de la vie. Ainsi « Disizilla » est un projet scindé en deux parties, l’une,  totalement expérimentale sciant parfaitement à Disiz, et une autre plus classique, montrant que ce dernier est capable de s’adapter à toutes sortes de tendance. A l’occasion de la sortie, Disiz est venu à notre rencontre afin de débroussailler un éventail très large de sujets relatifs à « Disizilla » mais également sur l’ensemble de sa carrière, sa façon de réaliser des disques et surtout ses prochains challenges extra-musicaux.

 

Rapelite : Il y a un peu plus d’un an, tu sortais ton dernier projet en date « Pacifique », qui s’apprête à être disque d’or d’ici peu de temps, qu’est-ce que cela te procure sachant que ton dernier disque d’or obtenu était avec « Poisson Rouge », sorti en 2000 ?

Disiz : C’était même un double disque d’or, avec 280 000 exemplaires écoulés. J’ai connu la véritable époque des disques d’or, mais c’est davantage une médaille pour l’industrie et mon équipe. Personnellement ma plus grosse médaille reste le fait que je suis encore en vie et intéressant artistiquement.

Rapelite : Au-delà de l’aspect artistique, tu ne génères pas un engouement aussi fort que les jeunes sur YouTube, mais tu réussis à plus vendre que certains, comment expliquerais-tu ce processus ?

Disiz : J’ai réussi à fidéliser un public depuis 20 ans, qui sait que le fond de ma musique reste le même, la seule évolution est sur la forme. Je réfléchis pas aux millions de vues, il faut que cela soit de la qualité et que dans 10 ans, je puisse regarder mon disque, l’écouter et ne pas avoir honte. Concernant les chiffres, si je faisais 5000 vues alors que j’ai une certaine carrière, je me dirais qu’il faudrait peut-être arrêter mais il y a un autre curseur, le fait que je réussisse à remplir mes salles.

Rapelite : T’estimes que ses salles remplies sont en partie dû au fait que tu ais une carrière s’étalant sur 20 années ?

Disiz : Après, cela dépend. Par exemple, si tu viens me voir parce que t’as aimé « Poisson Rouge » de Disiz La Peste, tu seras déçu parce qu’il n’y a plus cela dans ma musique. Mon implication dans la musique ne se limite pas au studio, mais également sur la scène. Le public sait qu’il en aura pour son argent et que je me fous pas d’eux, c’est l’une des raisons expliquant que mes salles soient remplies.

Rapelite : D’ailleurs tu te fais assez discret sur les réseaux sociaux, et même entre tes projets, c’est une volonté de ta part ?

Disiz : Carrément, ce que je veux montrer de moi, c’est mon art. J’ai rien à me prouver, je cherche pas à obtenir des likes pour qu’on dise que je suis beau. En art, en revanche, c’est important.

 

 

Rapelite : Sans la passion de la musique, c’est strictement impossible d’avoir une telle longévité ?

Disiz : C’est nécessaire, tout en étant intègre avec soi-même, il y a parfois des risques ou des opportunités qui peuvent te mettre sur orbite, financièrement et en termes d’exposition, mais s’ils sont trop éloignés de toi, il ne faut pas les accepter. J’ai refusé plein de trucs. Tu peux me proposer une pub avec telle grosse marque mais cela ne correspond pas à mon image, je refuserai. Si j’avais accepté, peut-être que le public n’aurait plus écouter ma musique car on aurait dit « ah il a fait une pub avec telle marque », cela aurait nuit à mon image.

Rapelite : 40 ans, tu t’apprêtes à sortir ton douzième projet, quelles sont les raisons qui te poussent encore à faire de la musique ?

Disiz : La passion et le plaisir, que je ressentais lorsque j’étais adolescent. Quand j’écoutais des choses à cet âge, je cherchais à être touché et par la suite, j’ai souhaité toucher les gens. Je vis avec mon âge, dans mes références, je vais pas parler de Naruto, c’est pas de mon âge, je vais parler de Dragon Ball Z. Je fais pas du jeunisme, mais sur la forme, je suis toujours alerte des différents courants musicaux et je mélange plein de choses à côté. Je peux aussi bien écouter du Prince que du Travis Scott, et c’est pour cela que j’ai une musique atypique car je ne cherche pas à plaire à telle ou telle personne.

 

Rapelite : Justement sur tes projets, est-ce que tu te fixes certains interdits ?

Disiz : Sur « Disizilla », il y en a moins que sur « Pacifique », mais j’ai toujours eu un curseur de ne pas aborder certaines thématiques ou vraiment faire attention à comment les aborder. Sur cet album, je me suis dit il faut que cela sorte, donc j’ai même pas calculé.

Rapelite : Quand t’es artiste, tu regardes ce que les autres proposent musicalement, mais est-ce que parfois tu te dis je peux faire aussi bien que les plus jeunes, en termes d’actualisation, mais en ramenant ma sauce ?

Disiz : J’ai toujours fait un parallèle entre le rap et la boxe, et dans les deux disciplines, quand t’as pas le niveau, il faut arrêter. Je sors encore un projet, il est accepté, on ne me taxe pas de ringard, après il y aura toujours des critiques mais il n’y a pas de phénomène de rejet en tout cas. Si je deviens rincé, je dirais stop c’est fini, je le sors pas. Il y a plein de trucs qui ne sont jamais sortis, au moins 5 ou 6 clips, simplement parce que je ne les aimais pas. C’est relou par rapport à l’argent dépensé mais je préfère cette situation que de présenter à mon public quelque chose qui n’est pas au top.

 

Rapelite : Quand tu réalises un album, est-ce que tu écoutes beaucoup de musique ou tu restes focus sur ton projet, en écoutant seulement des prods et les titres que t’as faits ?

Disiz : Je suis concentré sur mes prods et ce sur quoi je travaille. D’une, parce que je n’ai pas envie d’être influencé, de deux, parce que je suis vraiment concentré. C’est comme si j’étais à la mine, je cherche, je cherche. En revanche, avant, entre ces périodes de création, j’en écoute beaucoup.

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Rapelite : « Disizilla » sort un peu plus d’un an après « Pacifique », comment as-tu trouvé la motivation afin d’enchaîner les deux projets sachant que sur « Pacifique », il y avait encore certaines choses à exploiter…

Disiz : J’ai été frustré par « Pacifique », je voulais un succès beaucoup plus populaire parce que je l’avais écrit dans ce sens. Je m’étais attaqué à des grandes thématiques, le deuil, la dépression, internet et son impact. Après, c’est ainsi, il y a les médias et des intermédiaires qui font que. J’ai arrêté de me poser la question mais cette frustration a fait que j’avais envie de passer à autre chose. Ce n’est pas une page qui se tourne car « Pacifique » est à mon sens, le projet le plus abouti de ma carrière. C’est un album singulier. Ce sont des évènements dramatiques qui m’ont poussé à faire « Disizilla », il fallait que ça sorte. Après c’est mon carburant de ressortir tout ce que je ressens sur le moment, et je ne jette pas la pierre aux artistes qui n’ont pas cette vision, et préfèrent s’aventurer sur le côté fiction, démonstration, etc… Je me livre dans ma musique.

Rapelite : En écoutant « Disizilla », j’ai l’impression que le disque est scindé en deux parties, une classique et une autre, complètement expérimentale, le but était de satisfaire tous les publics ?

Disiz : Non, et encore plus après « Pacifique », je ne fais vraiment pas attention à ce que les gens me disent. Je voulais exprimer une certaine rage et la seule ligne direction était que « Disizilla » devait compléter « Pacifique » sur scène. Il y a des liens entre les morceaux de ces deux projets, et j’ai voulu les renforcer. J’avais envie de revenir avec des titres qui explosent sur scène.

Rapelite : Afin de poursuivre l’analogie entre les deux projets, j’ai l’impression que tu avais une promotion plus conséquente sur « Pacifique » tandis que sur « Disizilla », il y en a moins, mais en adoptant cette stratégie, cela n’a-t-il pas pour but de renforcer le côté expérimental ?

Disiz : Bien sur avec le côté instinctif, éruption, tout est cohérent avec l’âme du projet. Je réfléchis à comment sortir le projet pendant que je le fais, en même temps que l’univers et les thématiques à aborder.

Rapelite : Sur la partie featuring, tu as ramené Niska, qui vient de la même ville que toi, cela était important qu’un autre artiste phare d’Evry soit présent sur ton projet ?

Disiz : Je me retrouve en lui parce qu’il est jeune et en train de tout niquer, j’étais dans la même situation que lui, au même âge. Ce qu’il vit, je le connais parfaitement, de venir d’Evry et devenir une méga-star. Ainsi, cela me semblait logique de poser avec lui parce qu’on est deux entités très fortes, on n’a pas le même âge mais je reviens à une certaine énergie, en étant prêt à démarrer n’importe quoi, Niska était un invité cohérent.

Rapelite : Sur Fianso, le titre est un morceau vraiment expérimental, comment est venu le concept ?

Disiz : Je voulais parler des enfants des rues, et expérimental dans le sens où je suis l’artiste pop sur ce titre, et Sofiane est le rappeur. Kanye Westy fait cela, quand il chante et qu’il invite Pusha-T pour rapper. J’aime cette façon de faire différente du morceau avec Niska où nous sommes deux rappeurs qui rentrons sur la production, et on découpe tout. Avec Fianso, j’ai pris le total contrepied, comme à chaque fois, mais le morceau avec Niska, le public va se dire que c’est une zumba alors que ça kicke de ouf. J’aime surprendre et qu’on ne s’y attende pas.

Rapelite : Sur des titres comme « Niquer la FAC » ou « FUCK l’époque », nous retrouvons un Disiz, qui a des revendications à effectuer, à l’instar de titres précédents dans ta carrière, c’est inconcevable un projet de Disiz sans ce genre de morceau ?

Disiz : C’est concevable mais sur un album, j’ai envie d’extérioriser ce qui me casse les couilles, en musique, et il faut que cela ait du sens car le thème du disque est la monstruosité. Le fait de dire que tu peux être un monstre lorsque tu vas à la FAC car tu viens d’un certain milieu et d’une certaine couleur. Après sur ce titre, je parle de mon époque, si j’étais assoiffé de jeunesse, j’aurais pas fait ce titre.

Rapelite : Sur la longévité de ta carrière, je m’interrogeais sur le profil type de la personne qui va à tes concerts, étant donné que tu touches des jeunes mais également des plus âgés, à quoi ressemble un concert de Disiz ?

Disiz : Ce sont plusieurs publics qui se sont greffés mais quand je les touche, ils me suivent à chaque fois et cela s’agglomère. Certains ne viennent plus du tout, ceux qui étaient fans de « Poisson Rouge » parce qu’ils écoutaient Skyrock et qu’en dehors, ils s’intéressaient pas à la musique, ils sont partis. Ceux qui ont été touchés par la trilogie « Lucide », « Pacifique » et « Disizilla », ils ont envie de voir ou de revoir, mais j’ai quand même pas mal de jeunes.

Rapelite : Sur le Zénith, cela va également bientôt arriver…

Disiz : En plus, je le produis tout seul, je prends les risques financiers. Après je suis confiant parce que cela va bientôt faire cinq années que je fais des Olympia, et qui se remplissent à chaque fois. L’année dernière, j’ai même rempli un Elysée-Montmartre, mais je suis surtout excité par ce que je vais proposer sur scène. Déjà, pour ceux qui sont venus voir « Pacifique », c’était spécial mais alors pour « Disizilla », cela va être un truc de ouf. Ma force est dans la manière dont je construis les shows, les émotions que ressentiront les gens, c’est très inspiré du théâtre. J’ai pas envie que le mec qui a payé sa place se dise j’ai chanté ma chanson préférée avec lui, comme un karaoké géant, cela ne m’intéresse pas.

 

Rapelite : Sur l’ensemble de ta carrière, tu as proposé beaucoup de projets diversifiés musicalement, avec des sonorités à la fois distinctes et affirmées, mais tu ne penses pas avoir pu déboussoler ton public à certains moments ?

Disiz : C’est sûr que j’aurais pu être beaucoup plus populaire, après ça reste la musique, on sait jamais, mais j’aurais pu faire de plus gros chiffres si j’avais tenu une certaine ligne de conduite.

Rapelite : Mais tu n’étais pas forcément arrivé à la bonne période du rap français, dans le sens où actuellement le rap est bien plus décomplexé…

Disiz : Sûrement, à l’époque où je fais l’album « Les histoires extraordinaires d’un jeune de banlieue », des morceaux comme « Délice des illusions » ou « Fille Facile », des titres de rap sensible, c’était pas à la mode alors qu’aujourd’hui, tout le monde le fait, Drake, Kanye West, je le faisais avant parce que cela me semblait évident de parler de mes émotions.

Rapelite : A un moment, tu exprimais une certaine lassitude vis-à-vis du rap français, et désormais t’en penses quoi de la mentalité générale du rap français, notamment sur l’unité ?

Disiz : Le problème est que j’ai été tellement écœuré de ce milieu que je me suis auto-exclu, j’ai des affinités avec certaines personnes mais je ne suis pas dans ce milieu car je suis à part, mais vraiment. Trop de compétition, d’hypocrisie, de fausse unité, cette mascarade ne m’intéresse pas.

 

Rapelite : Tu refuses souvent des featurings par exemple ?

Disiz : Cela m’arrive, mais j’en ai tellement refusé que cela ne m’arrive même plus. A côté de cela, je fais pas des énormes chiffres de ventes et que c’est un milieu assez superficiel, on ne me demande pas. J’ai remarqué que dès que je rentre en radio, les demandes reviennent, mais cela ne m’intéresse pas, faut s’intéresser à moi, radio, pas radio. Par exemple, les invités sur mon disque sont des personnes que j’apprécie.

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Rapelite : T’es souvent cité par divers artistes en tant que référence, c’est une sorte de reconnaissance pour toi ?

Disiz : Cela me fait plaisir mais je sais qu’il y a des artistes qui m’ont écouté et qui s’en sont inspirés, mais jamais ils ne le diront en public. Je suis pas le rappeur caillera, je suis pas forcément une référence, donc tu me citeras pas sauf si t’as une grosse personnalité comme Damso qui est honnête et passe au-dessus de cela.

Rapelite : T’estimes avoir été dans une position d’artiste incompris à certains moments ?

Disiz : Ouais, beaucoup, quand j’ai proposé des choses beaucoup trop tôt, notamment pour Yannick Noah, où le curseur du rap c’était 50 Cent, les rappeurs de ma génération disaient que j’étais un vendu. Regarde maintenant, les rappeurs d’aujourd’hui font de la variété. C’est Sofiane qui me disait cela car il est plus jeune que moi, et quand on a parlé de Yannick Noah, il disait « Disiz a tout compris, c’est ce que je veux faire ». Lui était plus jeune mais avait cette mentalité de faire des sous, se mettre à l’abri, s’ouvrir et ne pas rester dans son ghetto. J’avais déjà cette mentalité à l’époque et j’étais l’un des seuls, mais c’est pour cette raison que beaucoup sont sur le bord de la route et que je suis encore là.

Rapelite : Du haut de tes 20 ans de carrière, quel conseil donnerais-tu à un jeune rappeur ?

Disiz : C’est un conseil qui a fonctionné pour moi, mais cela ne fonctionnera pas forcément pour tout le monde. Mon conseil est de faire vraiment ce que tu sens, pas ce que ton pote sent, à un moment, il a fallu que de par ma vie, le fait que j’étais devenu riche, j’en ai fait un morceau « J’ai changé ». Quand tu viens d’un quartier c’est la honte de changer mais il faut être honnête, et tu ne dénigres pas forcément quelqu’un pour autant.

 

Rapelite : D’ailleurs, tes premiers succès sont arrivés lorsque tu avais 19 ans, cela devait être compliqué à gérer le succès à cette époque, mais également les grosses rentrées d’argent…

Disiz : J’étais déjà responsable, j’étais déjà marié, j’avais déjà un enfant, il fallait remplir le frigo et c’était le curseur le plus important.

Rapelite : Tu te vois arrêter ta carrière à un moment donné ou plutôt être un artiste intemporel, traversant les époques ?

Disiz : J’aime trop la musique pour l’arrêter donc je sortirai toujours des disques, mais je n’aurais plus du tout d’attentes commerciales, je serai juste dans l’art. En plus je gagne bien ma vie, je pourrais me permettre de faire cela juste pour le kiff. Désormais le prochain challenge, c’est le cinéma. Je continuerai toujours la musique, en m’occupant de la partie sonore de la bande-annonce, de la bande-originale. Je vais jouer, écrire et réaliser des films.

Rapelite : A l’époque t’avais fait un featuring avec Mac Miller en remixant « Toussa Toussa », qui est désormais décédé, et j’aimerais savoir quel souvenir gardes-tu de cette collaboration ?

Disiz : C’est trop bien que tu me poses cette question car c’est pour cette raison que j’ai voulu le rencontrer, je l’avais dit à Def Jam que je souhaitais avoir une véritable collaboration humaine. Je peux raconter qu’on s’est vus, même si on a pas enregistré le morceau ensemble en studio, on a parlé de musique. J’ai le souvenir d’un petit jeune, qui rappait bien, qui faisait du rétrofuturiste, tout en ayant une bonne vibe. Je l’avais rencontré au Nouveau Casino, il était totalement khabat, il était déjà dans ce mood. Cela m’a touché d’apprendre son décès, 26 ans, c’est chaud, surtout pour des problèmes de drogues et de dépressions. Cela me touche en tant qu’artiste, je l’évoque dans le disque, c’est ce qui constitue la musique. Mac Miller a été une de mes influences sur la trilogie « Lucide », ce côté rétrofuturiste, ça tuait.

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